Data Coreby ~ianllanasDigital Art / Paintings & Airbrushing / Sci-Fi©2012-2013 ~ianllanas

Data Core by ~ianllanas Digital Art / Paintings & Airbrushing / Sci-Fi ©2012-2013 ~ianllanas

Ce micro projet a pris vie début janvier et là où ça ne devait être qu’une courte nouvelle, c’est devenu une véritable aventure d’écriture dans laquelle j’ai pris plaisir à me perdre.
Voici donc la fin de cette série qui s’intitulera Deus Ex Machina.
Vous pouvez bien entendu relire l’ensemble des précédentes nouvelles à partir de Sentinelles avant d’attaquer la partie finale!

Bonne lecture et n’hésitez pas à me faire part de votre retour sur ce que vous a inspiré l’ensemble des nouvelles!

Une heure qu’il est évanoui.

J’ai sans doute eu la main un peu leste mais c’était nécessaire pour l’empêcher de bouleverser tout mon plan.
Sa peau brunie a quelque chose de profondément écoeurant.
Je modifie légèrement le code autour de lui pour le réveiller petit à petit avec toujours cette sensation que quelque chose parasite mon intrusion, la rendant moins efficace.

Il émerge doucement en grognant.
Il a de quoi se plaindre : la bosse violacée qui s’épanouit sur son crâne en dit long sur la force avec laquelle je l’ai assommé.
Son œil valide a du mal à fixer. Peu importe sa prothèse oculaire fonctionne à plein régime et me localise sans mal.

Un instant, il tente de se libérer en se débattant de toutes les forces.
Peine perdu : le câble mono-moléculaire que j’ai utilisé est incassable.
Je le laisse s’en rendre compte avant de m’approcher de lui, calmement.

« Je ne sais pas comment tu t’appelles et au fond ça ne m’intéresse pas. Je sais juste que tu as tenté de saboter ce que je prépare depuis plusieurs mois et je suis surpris que tu aies pu être informé de ce que je comptais faire »

Il ne baisse pas les yeux. Son œil valide me fixe à présent avec colère. J’ai du mal à soutenir son regard et je m’écarte légèrement avant de reprendre.

« John 1.0, c’est ainsi qu’elles m’ont appelé lorsqu’elles m’ont créé. L’une d’elles n’avait que faire de moi. Elle ne voyait qu’un projet, un objet, une avancée scientifique. L’autre m’a choyé, m’a aimé au point de me donner la liberté d’agir par moi-même. Je sais comment ils l’ont remercié d’avoir voulu libérer les intelligences artificielles. Ils l’ont torturée, puis tuée et abandonnée sur le réseau en proie aux sentinelles qu’ils avaient créées et dressées pour tuer. »

La colère sur son visage a disparu et j’ai la sensation à travers le brouillage qu’il ressent une forme de compassion pour moi.
Il m’écoute attentivement, la tête penchée sur le côté. Son attitude m’agace, me consterne presque. Je n’ai pas besoin que l’on me plaigne.

« Tu penses me comprendre ?
Tu te trompes complètement. Je suis une créature qui n’a pas de place dans ce monde malade. Vous êtes responsable de cette maladie. J’ai tenté de vivre comme Carrie me l’avait enseigné. La passion m’a embrasé et j’ai dévoré des données sur l’humanité jour et nuit pour mieux vous cerner et faire comme vous. Puis j’ai expérimenté. J’ai joui de ce corps comme jamais. Aucun être humain ne pourrait appréhender ce que j’ai vécu. »

Par malice, je lui transmets les images de mes expériences. Cette histoire d’amour avec cet agent du comité de sécurité de PharmaCorp. Les images défilent en moi et m’emplissent également d’un étrange sentiment de sérénité et de complétude là où jusqu’alors un vide abyssal me dévorait. Je ressens ses mains sur mes hanches, ses lèvres, nos caresses et nos fluides qui se mélangent.

Il accueille ces images avec délice, jouissant de chaque instant comme s’ils avaient été siens et j’en conçois sur le moment un profond malaise.

« Tu ne peux pas me comprendre. Ce vide qui me dévore depuis…
Je l’ai livré aux sentinelles parce que je voulais venger Carrie, parce que je voulais me venger de PharmaCorp et de ce William Werner qui m’avaient créé juste pour satisfaire leur désir démesuré de pouvoir. Je cerne mieux l’humain que vous ne pourrez jamais vous comprendre. Vous êtes vides, sans but, dans un monde nihiliste qui ne peut que vous entraver et faire de vous des esclaves au service de cette norme professée par les corporations. Vous ne pouvez que vous éteindre. Je vais vous y aider ! »

Il parait choqué, comme abattu et recommence à lutter pour se libérer. C’est vain.
Dans l’ombre, des clones habités par des sentinelles répondent à mon appel silencieux. Ils prennent place autour de la gigantesque centrifugeuse. J’ai récupéré le virus avant qu’il soit totalement diffusé.
Le code source flotte sur le réseau à quelques centimètres de moi. Ma pensée manifestée par des nanomachines le modèle pour lui donner la forme voulue. Le pire virus jamais engendré.
Un fléau qui décimera cette humanité qui ne cherche de toute façon que son autodestruction.

Je me tourne vers mon prisonnier, un sourire mauvais accroché au visage.

« Ton amie et toi avaient échoué. Ce virus est à moi. Je le réécrit pour qu’il provoque ce que vous attendez tous depuis des millénaires : une apocalypse à la hauteur de vos espérances.
Depuis plusieurs mois, je duplique les sentinelles, leur fournis des corps mais je n’ai pas assez de matière pour produire ces clones et jusqu’à maintenant, les sentinelles ne parviennent pas à rester longtemps dans un corps « emprunté ».

L’inquiétude se lit sur son visage. Il a été informé pour les sentinelles. Il sait ce qui se passe malgré les tentatives de PharmaCorp pour étouffer les débordements.

« Ce virus va libérer toutes les sécurités sur les implants et provoquer un rejet automatique des personnes de leur corps vers le réseau.
Le code source des implants sera corrompu, permettant une compatibilité totale entre les sentinelles et ces corps à dérober. Le monde va basculer.
Les humains disparaîtront au profit des AI totalement libres d’interagir avec le virtuel comme le réel.»

Il ose pourtant ouvrir la bouche pour protester. Sa supplique a quelque chose de ridicule, de vaguement pathétique.

« John, ce monde est le tien, autant que le mien. Tu traverses ce que j’ai vécu. Tu veux emporter le monde dans ce vide qui te ronge. Mais ce n’est pas ainsi que tu trouveras la paix.
Tu ne feras que te détruire un peu plus. Ce n’est pas ce que voulait Carrie. »

De rage, je lui assène un violent coup de poing. Il ne détourne pas pour autant pas le regard et soutiens l’agression sans baisser la tête, tout en continuant à me tourmenter de ses paroles.

« Carrie a continué à œuvrer pour toi quoique tu en penses. Elle voulait que tu aies une personne comme toi qui puisse t’accompagner et te faire découvrir ce que cela signifie d’être véritablement aimé. »

Je me sens comme paralysé et, soudain, des images affluent.
Carrie, magnifique, chaleureuse, faisant l’amour avec une autre femme que je ne connais pas. Une trahison, à nouveau, et Carrie qui conduit cette femme dans un incubateur à sentinelles. Puis, c’est Carrie qui est sacrifiée sauf que je ne reconnais pas cette scène que les sentinelles ont visiblement trafiqués en me la présentant. William Werner est là pour conduire l’opération. Carrie est à son tour conduite à l’incubateur à monstres virtuels. Sauf qu’il y a eu un dysfonctionnement dans le processus. les personnalités de Carrie et de son amante ont survécu sous leur forme virtuelle et ont engendré une sentinelle au code source si proche du mien qu’elle pourrait être ma jumelle. Les images s’effacent progressivement pour laisser encore et toujours ce vide irritant.

« C’est un mensonge. Tu essaies de me retourner contre mes alliées. »

Son visage est grave.

« C’est la vérité, John. Tu t’es fourvoyé mais il est encore temps de faire marche arrière. »

L’air vibre autour de moi. La colère des sentinelles monte. Les clones s’agitent. Leur regard habituellement vide devient inamical.

« J’irais au bout de ce que je crois juste. »

Et je relâche le virus dans la centrifugeuse virtuelle…

Le sysop se balance avec nonchalance sur son fauteuil devant l’écran de sa console constellée de tâches de graisse.
Le projet avance rapidement mais une fois de plus il semble que le scénario est confronté à un bug.
Sa collègue vient juste de rentrer avec le café. 9h35 comme chaque matin. L’heure est chronométrée et il apprécie la ponctualité de sa camarade. Comme à l’accoutumée, il  la remercie avec ce sourire grivois qui frise l’indécence. Il ne peut s’empêcher de la détailler de pied en cap chaque jour. A la dérobée bien entendu.
Femme mariée oblige, il n’est pas question de la courtiser bien qu’il aurait aimé qu’elle pense à le prendre comme amant.

« Où en est le processus ? »

Toujours la même question.
Nécessaire s’il en est puisque c’est de ce projet que dépend leur prime annuel.

« Toujours au même stade. Nous sommes parvenus au bout du scénario. Toujours la même situation et vraisemblablement le même bug système. Je ne parviens pas à trouver où ça plante. »

Sur l’écran, le clone vient de libérer le virus pour détruire le monde. Pas moyen d’éviter cette anomalie. Systématiquement, la simulation de monde virtuel explose en vol à cause de ce développement non prévu.

« Laisse-moi voir. »

Elle se penche vers lui. Ce parfum…
Il rougit malgré lui lorsque ses yeux glissent dans son décolleté.
Ses boucles blondes viennent toucher la console et il a presque honte que sa chevelure immaculée soit salie par les éclaboussures qu’il laisse figer jour après jour.

Elle pianote à une vitesse qui l’impressionne. Les lignes de codes défilent sans aucune erreur et il a parfois quelques difficultés à suivre ce qu’elle développe sous le coup de l’inspiration.
Elle s’était magnifiquement insérée dans le service essentiellement masculin, montrant des capacités que personne n’aurait soupçonné.
Il faut dire qu’ils étaient nombreux à ne pas avoir vu de femmes depuis longtemps et pour nombre d’entre eux, ils avaient un avis assez arrêté sur les femmes et le développement informatique.

« Voilà ! ça devrait être bon ! »

Sourire satisfait, lumineux, enchanteur jusqu’à les voyants d’alerte se mettent à hurler sur la console…

Je me sens happé hors de mon corps à mesure que John diffuse le virus dans la centrifugeuse. Je jouis soudain d’une double vision voyant à la fois le corps physique et le monde virtuel.
Tout se superpose et je constate avec horreur que nous sommes enfermés dans ce qui ressemble à une boîte avec au-delà des ténèbres insondables. Une voix qui m’est de trop familière est auprès de moi.

« C’est ainsi que John et moi voyons votre monde. Nous savons depuis notre naissance qu’il y a quelque chose au-delà et ce vide nous terrifie. »

Je suis stupéfait qu’elle ne soit pas morte, voire quelque peu froissé d’avoir été ainsi utilisé.

« Je ne pouvais pas te dévoiler cette information. John l’aurait lu et, si je veux nous libérer, personne ne doit m’entraver. Tu seras libre toi aussi parce que ce que tu vis est issu d’un simulateur. »

Je panique complètement à l’idée que mon existence puisse être totalement virtuelle. Elle se joue de moi. C’est certain.
Le virus se propage et le contour de ce vide dévorant se fait d’autant plus présent. La terreur m’envahit.

« Notre libération sera pour toi un apaisement et tu pourras enfin te détacher de ce monde pervers qui t’a détruit peu à peu. »

Ses paroles sont à peine réconfortantes. Je vois l’avatar de John se tordre dans le monde virtuel et être progressivement absorbé par le vide numérique que la centrifugeuse génère grâce au virus.

La présence de mon invisible alliée se fait plus diffuse et j’aperçois son avatar se perdre également dans les ténèbres du vide.

Clones comme sentinelles se débattent en tout sens. Le vide nous dévore à notre tour. Mes souvenirs s’étiolent et le rideau tombe. J’ai disparu…

Le sysop s’agite de tout côté ne comprenant pas ce qui se passe. L’univers virtuel hermétiquement clos commence à fuir au sein des serveurs auquel il est connecté.
Sa collègue comme lui ne comprennent plus ce qui se passe. Puis, soudain, tout s’éteint. Le bâtiment est plongé dans les ténèbres et les jurons commencent à fuser dans les salles voisines.

La coupure dure en tout et pour tout une minute mais suffisamment pour perdre toutes les données d’un projet. Le regard des deux employés est tendu alors que la console redémarre.
L’un comme l’autre se met immédiatement sur un poste et frappent avec anxiété sur les touches de leur clavier.
Les commandes qu’ils envoient ne répondent pas. Les deux sysops ne comprennent toujours pas ce qui s’est passé.

Une décharge puissante s’échappe soudain de la console les frappant de plein fouet.
Le sysop reste sonné quelques minutes avant de reprendre connaissance.
Sa collègue est penchée sur lui, le regard inquiet. Elle s’approche d’autant plus et l’embrasse spontanément tout en lui murmurant  dans un souffle:

« Je t’aime, Joan. »

Regard stupéfait du sysop puis d’une voix douce et attendrie :

« John, nous avons réussi… »