Voici le troisième volet des Ténébreuses, cycle composé d’Another Vampire Story et de Brume. Ce récit est issu d’un travail préparatoire commencé il y a plus de quinze ans et dont je vous livre avec grand plaisir cette synthèse. Si vous avez manqué le début, voici le chapitre 1le chapitre 2le chapitre 3, le chapitre 4 et le chapitre 5! Bonne lecture et n’hésitez pas à me faire part de vos avis!

VI. Mes compagnons sont fous… Délirants de vouloir ainsi la mort de tous ces êtres qui, au final, ne sont que les expédients des démons. Je m’éloigne quelques secondes du feu pour rassembler mes esprits. Que vais-je faire ? Les suivre et la sacrifier ou me battre pour la sauver, lui offrir une chance de ne pas être touchée par ce fléau qu’ils projètent de répandre pour abattre ces deux mondes.

Je reviens auprès d’eux, me créant un visage de composition même si ma décision est déjà prise et que je ne participerai pas à cette folie. Camouflant mes pensées, étouffant l’amour et l’inquiétude que je ressens pour cette jeune humaine que j’ai abandonnée pour la nuit, j’approuve silencieusement le vote lancé par notre Alpha. Nos regards se croisent et je le sais suffisamment puissants pour déceler en moi le moindre signe de duplicité mais il ne trahit aucune émotion en me dévisageant.

Nous recevons chacun une tâche à accomplir et nous faisons vœu de nous retrouver quand la lune aura connu trois cycles pour mettre à exécution notre complot. Réduits à une poignée, nous vivons à présent infiltrés parmi ces êtres humains qui ont causé la chute de notre civilisation. Nous avons découvert que nous pouvions déformer la réalité non seulement pour glisser de monde en monde mais également pour modifier notre apparence aux yeux du commun des mortels…
Sauf qu’elle était loin d’être commune.

Des années auparavant, j’errai dans ce village et, sous un rayon de lune, je l’ai contemplée, dans sa nudité, sauvage et animale, sa crinière rousse, ses formes voluptueuses, accomplissant quelques rites païens qui lui auraient valu le bûcher si le commun l’avait surprise dans son habit d’Eve.
Emouvante et touchante, faisant appel aux forces primales de la nature pour bénir cette communauté qu’elle s’était jurée de protéger malgré leur haine. Sa bonté, sa dévotion à l’être humain me toucha et nuit après nuit je vins l’observer, la contempler, regard invisible, caressant et empli d’un amour que je ne finis de réaliser que tardivement.

Un soir pourtant, un commun, ivre, fit irruption dans la clairière et je compris à son regard empli de désir, à son esprit embrumé que les pulsions primaires qui l’animaient n’étaient tournées que vers la haine et la concupiscence. Avec brutalité, il immobilisa ma belle sorcière mais n’eut pas le temps de faire quoique ce soit de plus. Malgré l’ordre que nous avions de ne pas nous immiscer dans les affaires humaines, mon corps, mon esprit, dans un même élan me portèrent, vengeur, vers cet agresseur que de ma haine et ma colère, je transformai en bouillie sanglante. Une pluie de sang sur elle, sur moi… et de ses yeux desquels ne filtrait aucune peur, elle me regardait avec curiosité et admiration.

Elle m’enlaça tendrement et baisa délicatement ma bouche et à son contact je ressentis qu’elle savait. Doux murmure, sa voix résonna lentement, cadence mesurée marquée par le délice avec lequel ses mots glissaient en moi. Une sensualité dépassant la simple étreinte charnelle, instants uniques où le temps semble figer, où deux âmes se rencontrent, lascives et tendres, aimantes et passionnées…
« C’est toi que j’attendais… »
Je m’écarte, surpris. Son sourire est sibyllin, troublant et je remarque sur sa fesse une étrange marque de naissance, ce croissant de lune, identique à celui qui orne mon pelage. Comment avais-je pu ne pas le remarquer plus tôt ?
« Je sais qui tu es et je sais pourquoi nous nous sommes rencontrés… »
Nouveau sursaut et une peur sourde commence à poindre en moi. Etre un jouet du destin… N’était-ce pas déjà ce que nous étions, Chats, condamnés par nos maîtres à l’extinction ?
« Je t’apporterai la paix de l’âme et nous sauverons ton espèce, tous les deux… »
Promesse, espoir déraisonné et surtout une lumière dans ces ténèbres au sein desquelles mes sœurs, mes frères errions depuis plusieurs années suite à la destruction de notre monde et de la quasi-extinction de notre espèce par l’Ordre et ses humains…
Mais comment échapper à un destin écrit par son créateur ?
« Par l’amour, par ce qui vous a fait si différents de vos maîtres… »
Les années passèrent et notre amour grandit dans la clandestinité car nous savions, l’un et l’autre que nous ne pouvions vivre heureux aux yeux de nos espèces respectives, notre union étant par nature tabou, hérétique, hors normes…

Et ce soir, je la rejoins, la peur au ventre, de la perdre. Elle est assoupie dans sa chaumière, dans son lit qui a abrité nos réunions passionnées, au sein desquelles un brasier s’est allumé en nous, une passion propre à mon espèce, sensualité et amour, caresses exquises, baisers délicieux et étreintes bestiales, addiction amoureuse puissante et enivrante, propre à faire délirer n’importe quel mortel. Mais elle était différente de ce commun qui nous a exterminé. Une âme puissante, vibrante, emplie d’un amour même pour le monstrueux, capable d’accueillir cet esprit haineux et colérique, apaisant mes doutes, mes angoisses et transformant le monstre que j’étais en cette créature en paix avec elle-même…

Cette nuit-là, nous fîmes l’amour comme si c’était la dernière fois. Nos âmes communiquèrent avec puissance à mesure que nous glissions l’un en l’autre par nos caresses, nos baisers. Nos mains parcourant nos corps, nos langues se mêlant, cette jouissance venant et refluant, nous emportant jusqu’au moment de la séparation, déchirante…
La porte explosa et hommes comme félins déferlèrent, nous séparant, nous enchaînant. L’Alpha savait, il était parmi eux et, le visage convulsé par la haine, il nous mena dans les profondeurs pour nous y parquer…

La suite c’est par ici!