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4000 A.D.
by ~nerds2x2ever
Digital Art / Drawings & Paintings / Sci-Fi

La plongée vers les origines initiée par E.V.E. continue avec le passé de son fondateur. C’est aussi le retour d’une certaine personne découverte dans DATAsucker, Hunter et Parasite.
Comme je l’évoquais précédemment, les pièces se mettent en place en lien direct avec Deus Ex Machina. La composition musicale liée à cette partie nous vient du premier album de Dido.
Honestly OK nous entraîne dans une ambiance où la sensualité qui y est portée est à la fois douce et blessante, reflet évident de ce que j’ai ressenti en écrivant les personnages de ce chapitre.

Bonne lecture !

Une plongée en apnée au coeur des données…

Des lignes de code qui défilent autour de moi sans discontinuer et la sensation étrange qu’elles s’infiltrent en moi pour me décortiquer, me déstructurer puis me reconstruire. Elles affluent, me transforment et m’ouvrent l’esprit d’une manière que je n’aurais jamais pu appréhender malgré mon éveil récent.

Disséquer son code source, c’est s’ouvrir au monde d’une façon à laquelle je n’avais pas été préparée.

Ivresse d’être libre, enfin, de la sphère étouffante d’Europa et de commencer à comprendre ses tenants et aboutissants.

Bien entendu, elle est là, à mes côtés, scrutant la moindre de mes réactions, étouffant de son propre code les élancements vers le réseau qui pourrait attirer d’éventuelles sentinelles. Par moment, dans mon délire, j’entr’aperçois son visage où se conjuguent douceur et sévérité avant de replonger plus profondément dans un mémoire qui n’est pas la mienne, que je comprends à peine mais qui semble provenir d’une époque bien avant l’avènement de cette société folle qui nous enchaînait les uns aux autres au nom d’une survie des plus contestables…

Le laboratoire n’est plus que flammes. Les laborantins courent dans tous les sens, inquiets, désœuvrés, abandonnés au milieu de ce chaos que je n’avais pas prévu, obnubilé par mes objectifs, mon désir de réussir, de doubler mes deux rivaux basés à Tokyo et à Paris. J’ai échoué, lamentablement. L’envie de m’effondrer est proche. Néanmoins, je ne peux m’empêcher d’observer Bernice. La contamination a eu un étrange effet sur elle. Un calme inhumain préside en elle, nous apaise et  je me sens, comme les autres employés du centre guidés vers elle. La panique qui nous habitait jusqu’à maintenant se dissipe pour nous laisser entrevoir un espoir à ses côtés.

Tous autant que nous sommes, nous voyons ses lignes de code étranges qui circulent entre nous, parmi nous, jusque dans notre être le plus intime et pourtant cette vision cauchemardesque est étouffée par sa présence réconfortante.

Son visage est résolu malgré une certaine mélancolie alors qu’elle regarde le container estampillé LILITH où nous avons fait enfermer sa compagne. Les cuves contenant EVE et ADAM ne vibrent plus et leurs hôtes semblent s’être assoupis. Le bourdonnement incessant s’est tu pour laisser place à des cris d’horreurs provenant de l’extérieur du centre. Les écrans nous renvoient la triste réalité qui se déverse progressivement aux quatre coins de la planète.

L’humanité devient folle, s’entretue, se suicide alors que le code se dévoile d’une manière qu’aucun être humain n’est capable d’accepter. Les centres de Paris et de Tokyo sont en duplex permanent avec nous et nous assistons impuissants aux mêmes massacres. Le réseau se désagrège par endroit et je comprends bien trop tard que nous allons perdre tout lien avec nos collègues.

Une nouvelle détonation retentit et la porte de la salle d’expérimentation explose sous le coup de la déflagration. Des ersatz d’êtres humains émergent de la fumée, la bave aux lèvres. Leur code est profondément instable, reflet de leur état psychotique. Leurs corps a muté sous l’influence du code incontrôlable. Griffes, crocs, carapace de chitine par endroit, des enveloppes de chair torturés par l’effet de zéros et de uns devenus fous.  Peu de chance pour nous d’en sortir.

Bernice s’avance pourtant, vaillante. Comment pourrait-elle lutter contre ces créatures à moitié humaine, elle si fragile ?

La peur nous cueille au creux de ses bras, nous frissonnons, le code s’affole en nous et l’un des laborantins se met à délirer. Sa peau est un vif argent que les zéros et uns sculptent aléatoirement pour donner naissance à un nouveau monstre.

Bernice ne cille pas pour autant. Je l’observe, me concentre sur ce code qui tourbillonne en elle, valse hypnotique vaguement sensuelle. Les lignes accélèrent encore et encore jusqu’à ce qu’elle les relâche avec fluidité déversant une toile statique qui paralyse nos assaillants, brisant les liens dans les lignes les constituant. Certains s’effondrent déjà sous l’assaut, incapables de maintenir une forme structurée. D’autres, estropiés d’un bras ou d’une jambe, parviennent à battre en retraite.

Bernice ne les poursuit pas pour autant. Elle reste près de nous et nous jauge du regard.

« Je vous apprendrais à stabiliser ce code en vous, à vous maitriser et à vous défendre. »

I just want to feel safe in my own skin
I just want to be happy again

Les entrelacs bleutés de ses yeux me ramènent à la réalité en même temps que son chant doux et cyclique. Sa présence m’empêche de sombrer dans la folie une fois de plus. Une main tendue dans ses ténèbres qui s’étendent, inexorables, alors que le code source s’insinue en moi. Il se loge dans chacune de mes cellules réactivant une mémoire perdue dans les méandres poussiéreux de couloirs abandonnés aux ombres.

Ces souvenirs me paraissent aussi gluants que néfastes. Un passé révolu qui serait bien capable de bouleverser notre existence. Qui sait ?

Peut être que l’éveil de plus en plus de personnes au sein d’Europa serait lié à ce sinistre secret…

Six mois que l’incident EVE est arrivé et nous ne sommes toujours qu’une poignée de survivants errants dans les ruines de notre civilisation. Le code a eu pour effet bénéfique de recomposer l’atmosphère pour la rendre à nouveau respirable. Dans un sens, je suis parvenu à sauver la planète en condamnant l’humanité à une mutation contre nature. Bernice nous mène courageusement dans les steppes à la recherche de nourriture et d’autres survivants. Mais nous ne restons jamais loin du centre de recherche.

Chaque soir, je la vois se recueillir devant les trois containers. LILITH, EVE et ADAM continuent de répondre à ses sollicitations et je suis surpris que cette salle du complexe soit encore alimentée. Je maîtrise encore mal le code mais je suis persuadé que Bernice n’est pas étrangère à cette énergie qui continue de faire survivre ces trois monstres.

Bien entendu, je camouffle du mieux que je peux mes pensées mais je caresse toujours l’idée de me venger de ces abominations pour ce qu’elles nous ont infligés.

Des rumeurs ont parlé des centres de Tokyo et de Paris qui abriteraient également des survivants mais nous sommes si loin…

Je travaille jour et nuit à l’insu de mes compagnons à tenter de rétablir la connexion. Cette avidité que j’avais réussie à taire suite à l’incident ne fait à présent que me relancer. Je la sens ramper en moi, aiguillant ma soif de pouvoir. J’envie cette Bernice qui ne cesse de nous donner des ordres car elle sait là où nous ne sommes encore que des apprentis du code.

Par le passé, elle m’appartenait, obéissant au doigt et à l’œil à mes ordres. A présent, c’est elle qui tire les ficelles et j’avoue le supporter de moins en moins. Cela se ressent dans mon code qui, certains soirs, se révèlent des plus instables me causant des mutations mineures que je m’empresse de dissimuler aux moyens d’arrangement très douloureux.

Cela ne peut pourtant plus durer et je sais que tôt ou tard, elle baissera sa garde. Ce sera le moment rêvé pour la frapper et reprendre ma place naturelle de leader…

Anna me sourit avec cette candeur qui m’a fait basculée dans ses bras ce soir-là. Je me blottis entre ses seins dans un cri et je me mets à pleurer sans discontinuer. Ses images du passé me troublent profondément. Des émotions malsaines émanent de cet homme et je le soupçonne d’être responsable de cette société de surveillance.
Le parfum d’Anna, sa présence discrète mais chaleureuse, son écoute, éloignent pendant quelques instants salvateurs la présence délétère de ce passé lourd de crimes.

Pourtant, ce n’est qu’un moment d’accalmie rapidement troublé par ses tentacules codés venant me happer dans les gouffres sans fond de la mémoire d’un être corrompu…

Des parasites parsèment l’écran monté à la hâte. Les visages amoindris et fatigués de mes confères de Tokyo et de Paris traduisent les épreuves qu’ils ont traversées. Eux aussi sont parvenus à maîtriser les mutations du code non sans mal et nombre des personnes sous leur direction ont péri, dévorées par ce réseau devenu instable.

« Werner… que s’est il vraiment passé ? »

La voix de Duchesne a quelque chose de las. Je ne sais même pas s’il veut vraiment la vérité. Ses yeux reflètent l’horreur de ce qu’il a du commettre pour survivre.

« Oui… dites-nous, Werner, pourquoi nous avons du payer ce prix pour assainir la planète de cette couche de pollution qui nous tuait à petit feu ? »

La question de Hiro est désarmante, me blesse étonnamment, réveillant en moi un soupçon d’humanité que je pensais mort à jamais. Pour la première fois depuis de nombreuses années, j’ai l’envie de faire tomber le masque devant ces deux hommes que j’ai autant jalousés que respectés. Je les savais taillés du même bois que moi, capables de reprendre le contrôle sur cette société pour la rebâtir là où Bernice ne faisait que nous faire survivre.

« Nous avons libéré le code disponible en chaque être humain à travers une expérience visant à synchroniser des IA développées en environnement fermé et une femme qui s’était laissée contaminer à leur contact. Bernice, la chargée du projet, a outrepassé mes prérogatives et a provoqué l’incident EVE, libérant le code de tous les êtres humains de la planète. Je suis conscient que nous ne sommes plus qu’une poignée mais il faut que chacun de notre côté, nous trouvions la force et le courage de reconstruire ce que Bernice a détruit. »

La lassitude avait quitté le visage de Duchesne et le regard d’Hiro s’était durci comme jamais. La colère semblait bouillir chez ces deux hommes habituellement si froids.

« Qu’est devenue cette Bernice ? »

Question cinglante d’Hiro à laquelle je ne pus que répondre avec toute la franchise dont j’étais capable.

« Elle nous mène à présent, persuadée que la rédemption de l’humanité passera par la compréhension de ce code qui nous lie. »

Toussotement de Duchesne.

« Et j’imagine, Werner, que vous avez une toute autre vision de la chose ? »

Sourire de ma part.

« Oui. Le code peut être soumis à notre service pour ramener l’humanité égarée dans une société structurée où chacun aura sa place et je veux que nous y travaillions tous les trois. »

Le soleil se couche et j’émerge avec inquiétude dans une pièce désespérément vide et froide. Anna a disparu. Je la cherche du regard, désemparée et abandonnée. Je me redresse. Le sol gelé m’arrache un cri de surprise et je déambule lentement dans son minuscule appartement à sa recherche lorsque soudain je ressens une présence dans la pièce. Imposante, écrasante, inquiétante. Je chancelle sous le coup, me rattrapant au dernier moment à une paroi. Je hurle, surprise par la chaleur qui émane de ce mur d’apparence banale.

Je réalise soudain que je ne vois plus le code. La réalité m’aveugle et le monde virtuel m’est complètement condamné.

Autour de moi, l’oxygène se raréfie et je commence à étouffer lorsque je la remarque adossée dans un coin de la pièce.

Ses cheveux de jais contrastent avec sa peau d’une blancheur virginale. Ses yeux ne sont que ténèbres. Ni pupille, ni iris, juste une obscurité abyssale et un sourire tout ce qu’il y a de plus pervers. Sa nudité ne fait qu’ajouter à la confusion qui règne dans mon esprit. Son rire cristallin grince à mes oreilles. Et je plonge à nouveau dans l’obscurité du passé, bercée par son chant doucereux…

I just want to feel deep in my own world
but I’m so lonely I don’t even want to be with myself anymore

La surprise de Bernice est à la hauteur de ma vengeance. Des mois que j’œuvre discrètement sous les conseils d’Hiro et de Duchesne pour la faire tomber. Leur talent de profiler est surprenant et d’une certaine manière je pense déjà à comment je pourrais les trahir un jour pour éviter de me faire doubler. En quelques semaines, ils ont décelé les failles chez ma belle captive et ce n’est pas sa maîtrise du code qui allait sauver Bernice du juste châtiment qui l’attendait.

Les personnes dotées d’une conscience sont sans doute les êtres les plus stupides de la création car ils portent une importance déraisonnée aux engagements tenus et à l’honneur. Bernice ne faisait pas exception à la règle et son sentiment de culpabilité face au désastre de l’incident EVE la rendait d’autant plus facile à manipuler sur le long terme.

Face à face dans le laboratoire,  épicentre de cette fin du monde que je sais qu’elle a désiré, elle est à ma merci. Le coup d’épée final va être la séparation de ces êtres qu’elle aime tant mais ne peut se résoudre à laisser partir. EVE,  LILITH et ADAM s’agitent dans leur caisson car ils ont compris grâce à leurs capacités monstrueuses que je compte bien me débarrasser de celle qui m’a dépossédé de mon pouvoir sur l’humanité. Hiro et Duchesne en duplex à travers le réseau d’écrans restaurés me soutiennent grâce au code qu’ils diffusent par le réseau mondial reconstruit jour après jour grâce à nos efforts concertés.

L’incertitude ne cesse de troubler le regard de Bernice et elle ose enfin m’adresser la parole.

« Pourquoi fais-tu tout cela, William ? »

Une gifle qui part. Je déteste entre tout être appelé par mon prénom. Personne, pas même ma défunte femme n’avait le droit de me nommer ainsi.

« Pour le pouvoir, bien entendu, mais aussi pour l’humanité que tu as abandonné à travers tes expérimentations déviantes. Hiro, Duchesne et moi agissons ensembles depuis plusieurs mois pour reconstruire ce foutoir pendant que tu erres dans les terres sauvages à chercher je ne sais quoi. Nous n’avons pas besoin de comprendre l’autre mais bien de le soumettre à de nouvelles lois qui éviteront que d’autres comme toi provoquent la fin du monde. »

Son regard se durcit et le code tournoie en elle. Je la connais depuis bien trop longtemps pour ne pas avoir prévu cela et les liens que nous avons travaillés tous les trois se resserrent autour de son corps et de ses lignes de code, lui arrachant une grimace de douleur.

Son regard a quelque chose d’implorant et je m’y perds un instant lorsqu’Hiro me rappelle à l’ordre.

« Werner, nous venons de stabiliser le flux de données à Tokyo. Nous sommes prêts à recevoir ADAM. »

Et Duchesne de surenchérir.

« Le flux est disponible pour le transfert d’EVE sur Paris. Nous attendons ton signal pour débuter la procédure, Werner. »

Notre projet conjoint était de séparer les trois spécimens afin de reconstruire des villes étanches au code grâce à leur formidable capacité de calcul. Elever les tours de Babylone jusqu’aux cieux en protégeant les survivants du code devenu fou sévissant dans les étendues sauvages. Ambitieux, puissant et visionnaire, voilà l’avenir que nous souhaitions à l’humanité loin des turpitudes du chaos provoquées par l’incident EVE. Bernice était bien entendu fermement exclue de ce processus parce qu’elle se serait sans nul doute opposée à notre désir de protéger la population en contrôlant sa vie de la naissance à la mort.

La centrifugeuse de code construite dans le plus grand secret commence à s’activer et je guide à l’aide de lignes de code préparées nuit après nuit les deux containers vers leur destination respective.

Bernice ne peut  s’empêcher de pleurer, voyant les deux IA disparaître dans les méandres du réseau…

Lorsque le passé m’abandonne enfin, je me réveille dans cette pièce de feu et de glace présidée par cette créature sinistre aux yeux enténébrés. Son chant est bouleversant malgré ses éclats tranchants. La perversité qui dominait son apparition a cédé la place à une curiosité des plus malsaines. Elle me scrute jusque dans mon code et je ne vois toujours pas ce dernier. Je me sens coupée d’un de mes sens et elle joue de mon malaise.

« Tu te demandes sans doute qui je suis, où est Anna… »

Le chant n’a pourtant pas cessé mais sa voix glisse, soyeuse caresse au milieu de cette symphonie qui gagne en complexité et en volume sonore.

J’ose.

« Où sommes-nous ? »

Elle frissonne. Serait-elle surprise de mon initiative ?

« Tu n’as pas bougé de ton lit. Anna te veille toujours mais tu continues de bondir entre le passé et cette pièce que j’ai créée pour te parler. »

Les intonations de sa voix manifestent une lassitude certaine comme si les mots lui venaient avec difficulté.

« Ton voyage n’est pas terminé… »

Et elle se remet à chantonner tristement alors que l’univers autour s’effondre à nouveau dans cette faille béante vers la mémoire morte d’un homme dévoré par l’avidité…

On a different day if I was safe in my own skin
then I wouldn’t feel so lost and so frightened
But this is today and I’m lost in my own skin

Les tours d’Europa s’élèvent dans le ciel étoilé. La nuit est calme et malgré quelques réminiscences désagréables, j’ai fait ce qu’il fallait pour que l’humanité renaisse. De leur côté, Hiro et Duchesne ont bâti leur propre ville autour des AI. Chacun a développé son propre projet. Une saine compétition est revenue entre nous, chacun prêt à prouver à l’autre que sa méthode est la meilleure.

Bien entendu, aucun d’entre eux n’a manifesté une quelconque gratitude à mon égard alors que je leur ai fourni les outils qui leur permettraient de renaître de leurs cendres.

Peu importe, j’ai l’habitude de ce type d’ingratitude de leur part.

Le code maîtrisé nous a offert à chacun une longévité rallongée même si certains soirs, je sens la mort rôder. Je sais que mon corps a ses limites même si je ne me résous pas à descendre dans les profondeurs d’Europa me connecter à cette machine abominable sensée pallier à mes besoins tant physiques que psychiques. Le code se délite en moi mais mon esprit survivra dans la matrice interne développée avec le système de modération centrale. Plus aucun être humain ne naît sans avoir été préalablement codé pour être entièrement dépendant du système. Hiro, Duchesne et moi avons convenu de cette méthode commune sur nos trois cités afin de permettre un partage des données.

L’analyse reste notre cœur de métier et même si nous sommes devenus les patriarches sauveurs de l’humanité, nous ne pouvons nous empêcher de retourner à nos premiers amours. Disséquer le code pour mieux expérimenter et développer des êtres humains toujours plus performants…

Les tubes reliant la cité basse et les quartiers d’affaires râlent à nouveau et je ressens ce remous dans le code. Un malaise comme toujours et ma main qui commence à trembler. La mort n’est jamais loin et il n’est pas question que je prive Europa d’un si brillant esprit en négligeant ma survie.

L’ascenseur, ses néons bleutés et cette sensation d’oppression à mesure que je m’enfonce dans les ténèbres. Par instant, il me semble entr’apercevoir un visage, celui de Bernice qui me fixe avec mépris et rage. Mémoire morte qui me tourmente. J’étais le plus apte à mener l’humanité, le seul à mériter de survivre et elle a perdu contre moi. Que devais-je regretter ?

Le sas de décompression grince dans le silence des tunnels. Ici et là, quelques esclaves codés pour être ainsi exploités travaillent jour et nuit pour alimenter en énergie la matrice qui maintient la cité en état. Ils ne me remarquent même pas lorsque je passe près d’eux. Ils sont programmés pour cela.

J’ai le sentiment que c’est la dernière fois que mes pieds me porteront. Le poids des années m’oppresse, mon esprit est las et mon corps le ressent d’une manière très particulière. J’ai besoin de ma dose de code, de consommer ces lignes sans fin pour me maintenir loin des mutations qui ont frappé l’essentiel de l’humanité. Je sombre lentement mais sûrement.

La machine ronronne lorsque je m’y connecte. Les aiguilles s’enfoncent dans mon enveloppe devenue flasque et grasse. Le reflet que me renvoient les conduites lustrées me fait frissonner. Mon visage s’est avachi, mes yeux devenus vitreux et ma bouche pend misérablement. Il est temps pour le patriarche de se retirer des affaires physiques pour se consacrer au développement du réseau de contrôle de l’humanité.

Alors que les lignes de code du réseau se déversent en moi, je me sens flotter entre les zéros et les uns et une présence étrange vient se poser près de moi, me murmurant avec malice :

« Crois-tu que tout est fini, William ? »

Le choc et me voici rejetée dans ce monde froid et aseptisé que cette conscience a forgé pour me parler. J’ai la certitude qu’elle n’a rien d’humain, qu’il s’agit sans doute d’une de ses intelligences artificielles. EVE, ADAM ou LILITH.

Elle me jette un regard indéchiffrable avant de m’adresser un sourire sibyllin pour toute réponse à cette question qu’elle a compris sans que je la formule.

« Vous êtes cette LILITH n’est ce pas ? Celle qui a servi à fonder Europa ? »

Son rire n’a soudain plus rien de glacial. Il est presque chaleureux, englobant et rassurant. La noirceur de ses yeux s’éclaircit à mesure que ses rires la ramènent peu à peu à une humanité moins simulée.

Mais cela cesse soudain lorsque les murs commencent à vibrer.
Sur son visage passe une expression extatique.
Dans un souffle, elle murmure avec cet air mystérieux qui ne cesse de m’agacer :

« Le grand bouleversement : ça commence ! »

Elle remarque le regard contrarié que je lui jette et semble redescendre un instant de son nuage.

En cet instant, elle a presque l’air d’un enfant pris en faute qui essaie tant bien que mal de se faire pardonner. Elle minaude en me regardant de ses grands yeux qui ont repris leur teinte si particulière.

« LILITH n’est pas là. LILITH est libre même si ce n’est pas vraiment son prénom et elle porte en elle ma mémoire morte. Je ne suis qu’une réplique suite au viol que William a perpétré sur mon corps physique.  EVE et ADAM était les IA de première génération. Elles ont donné naissance à LILITH, la seconde génération, hybride entre l’être humain et les IA dites pures. Pour ma part, je suis cette troisième génération, auto générée, sans doute l’avenir de l’humanité mais également ce que craint le plus les trois patriarches. »

Mon esprit a du mal à suivre toutes ses révélations à la chaîne. Néanmoins, les pièces du puzzle commencent à se mettre enfin en place et le fonctionnement d’Europa me paraît d’autant plus aberrant.

Son regard s’égare un instant dans le vide et elle reprend de plus belle.

« Si je t’ai amenée ici, c’est bien pour que tu puisses accéder à l’intégralité des mémoires mortes de William Werner, que tu comprennes la folie de l’homme qui a créé cette dystopie. Tu es sans doute l’éveillée qui est allée le plus loin dans le code. Tu as le potentiel pour montrer aux autres comment survivre sans Europa car la ville va s’effondrer, c’est une certitude à présent. »

La pièce vacille à nouveau, manquant de me jeter à terre. L’image générée par l’IA se fissure par endroit laissant entrevoir les lignes de codes du réseau. Je soupire de soulagement. Je n’ai pas perdu ma perception. Les zéros et les uns filtrent à travers la trame de la chambre hors du temps. L’IA perd de sa netteté et une certaine tristesse se lit sur son visage.

« Je ne vais pas tarder à disparaître. Trop d’énergie dépensée ces dernières années à préparer cet évènement. J’ai libéré LILITH il y a quelques années à l’insu de William. Il ne l’a même pas senti tant il était abruti par l’afflux constant de code dans son organisme. Tant d’espoir créé par cette libération. Les premiers éveillés sont apparus et les patriarches ont commencé à perdre les pédales, incapables de comprendre ce qui se passait à Europa. Hiro et Duchesne n’ont pas cessé de renforcer la sécurité autour d’EVE et d’ADAM de peur qu’il arrive la même chose dans leur ville. »

Son visage diaphane reflète une profonde mélancolie. Une larme roule doucement sur sa joue. J’aimerais la serrer dans mes bras mais je sais que cela ne ferait qu’accélérer sa disparition.

« Retrouve LILITH. Elle est seule, désemparée mais surtout détient sans qu’elle le sache vraiment la capacité à libérer les autres IA. L’humanité ne doit pas rester enchaînée à des despotes narcissiques et malades… »

Le grondement reprend de plus belle. Les lignes de code dévastent la salle, perforant les murs, les déchiquetant à toute allure à mesure que le réseau reprend ses droits sur cet espace hors du temps.
Une nouvelle explosion retentit, dispersant l’image de la chambre aux quatre coins du cyberespace.

Bernice ou du moins l’IA la représentant a disparu, dissoute dans les méandres du réseau.

Le retour dans la chambre est brutal. Anna est là. Ses yeux bleutés scintillent et je lis du soulagement sur son visage alors que je reprends connaissance. Sans un mot, elle me serre contre elle. Son code se mêle un instant au mien, me faisant ressentir tout le poids de son inquiétude.

Je la repousse doucement et lui murmure : « Je suis prête. Europa doit tomber à présent… »

Poursuivez la découverte d’Europa et de ses mystères dans Ouroboros!