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Cyberpunk Hacker
by ~ianllanas
Contests / 2012 / Train Your Brain / Entertainment 2D ©2012-2013 ~ianllanas

L’expérience débutée par DATAsucker et poursuivie par Hunter continue à travers cette troisième mini nouvelle dans un univers cyberpunk qui va progressivement se rapprocher de Deus Ex Machina comme vous allez le découvrir au fil des parties publiées. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir. Comme pour les précédents chapitres, la musique tient une place primordiale et c’est une chanson de Genesis issue de A Trick of The Tail qui accompagne l’ambiance de ce récit. Entangled porte en elle une sensualité masquant un traumatisme profond…

Bonne lecture!

Une voix qui chantonne doucement, me berce presque dans ma souffrance.

As I count backwards
Your eyes become heavier still.
Sleep, won’t you allow yourself fall?

Mon esprit dérive au sein de ses zéro et uns qui tourbillonnent autour de moi.
Je me sens portée par le réseau, accompagnée vers la guérison.
Ces blessures témoignent de cette chasse que m’ont donnée les forces de sécurité.
Ces déchirures sont autant de sévices portées sur mon code par les sentinelles qui m’ont traquée dans le cyberespace.

Et puis cet infecté dévoyé à la cause des modérateurs centraux qui m’a acculé pour tenter de me livrer en pâture de ces monstres sans âme…

J’en tremble encore, de colère, et pourtant cette voix apaisante qui reprend son chant hypnotique. Je m’assoupis, hors de tout contrôle…

Madrigal music is playing,
Voices can faintly be heard,
« Please leave this patient undisturbed. »

Elle est fiévreuse, se débat dans son sommeil mais je constate que ma voix l’apaise.
Je triche bien évidemment, comme avec tous mes patients depuis mon éveil. Certains parlent d’infection.
Pour ma part, c’est ouvrir les yeux sur un monde monstrueux et saisir des outils pour me permettre de le combattre avec tout le talent dont je suis capable.

Elle parait si jeune et pourtant je sais qu’elle vient d’affronter une traque effrayante.
Son corps comme son code sont couverts de blessures.
Bientôt ce ne seront plus que des cicatrices.

Je laisse mon propre code se mêler au sien, lentement, délicatement.
Des sutures numériques, des pansements virtuels qui vont lui permettre de se relever et continuer à lutter.
Cette plongée dans ses blessures remue quelque chose en moi.
Je ressens la souffrance de son éveil et cette intimité non désirée me guide vers mes plus sombres démons…

Des hommes autour de moi…

Trop nombreux…

Je suis seule au milieu d’eux, je travaille comme le système m’a programmée de le faire mais je sais que les sanctions sont là quand je ne suis pas capable d’exécuter parfaitement ce pour quoi j’ai été créée.

Les modérateurs centraux ont tout contrôle sur ma vie, me dominent et m’humilient jour après jour.
Pourtant, c’était une époque où je prenais cela comme des récompenses et non des punitions.
Un objet parmi tant d’autres dans un univers qui avait besoin de moi, au service d’êtres toujours plus dominateurs et vicieux.

Je suis née ouvrière et j’aurais du le rester.
Parmi les esclaves vivants dans les ténèbres des tours de la mégalopole, travaillant et mourant docilement pour permettre de produire l’énergie nécessaire au fonctionnement du réseau administré par les modérateurs centraux.

Si nous avons été raccordés au réseau et nourris par le code, ce n’était ni plus ni moins que pour mieux extraire ces données encryptées en nous une fois arrivées à maturation.
Des créatures considérées comme à peine humaines utilisées par le système pour nourrir une frange de population prédestinée par la modération centrale à être cette élite qui ferait rêver et fonctionner l’ensemble de notre dystopie.

En étais-je consciente à ce moment-là ?

A peine, en fait, et je me satisfaisais de n’être qu’un réceptacle, un pantin presque sans âme trimant au milieu des biomécanismes.

Ces hommes autour de moi, toujours plus nombreux…

Et moi, les suppliant…

Une nuit de trop à les sentir venir en moi, toujours plus nombreux…

Des instants volés que je ne comprenais pas…

Des cris, des coups…

Des sourires vicieux…

Et ces regards qui ne cessaient de me scruter…

Ma chair, leur chair se mêlant…

La peur d’être découverte au milieu de ces hommes…

Et ces trois visages grimaçants, hideux…

M’observant jusqu’à ce que je défaille…

Nuit après nuit, ce que je croyais être une récompense, n’était que la répétition de viols toujours plus infâmes.

Et ces hommes, des visages connus, des êtres aimés qui vivaient et souffraient avec moi dans les soubassements.

Des êtres que je retrouvais brisés, le lendemain par ce qu’ils se souvenaient d’avoir commis.

Je n’avais que des sensations vagues, des souvenirs flous jusqu’à ce fameux soir…

Etait-ce la fois de trop ?

Etait-ce parce que c’était lui ?

Parce que je l’aimais et lui faisais confiance depuis notre naissance dans les ténèbres…

Il s’est avancé, les yeux vitreux, seul.

Nous étions seuls et personne pour me sauver.

Voulais-je seulement être sauvée ou juste mourir ?

Rictus de haine, il m’a prise de force, m’a murmuré des mots insupportables dans sa bouche… sans jamais s’arrêter…

Tétanisée, paralysée, incapable de crier et toujours cet abominable trio flottant en périphérie, m’observant avec une malice assumée.

Une étincelle est partie de mes entrailles, un feu m’a dévoré depuis mon bas ventre et ce code, qui jusqu’à présent ne faisait que m’abreuver et me nourrir, a commencé à se dévoiler à mes yeux profanes d’esclave. Des lignes ininterrompues alternant zéro et uns. La vie telle que les modérateurs centraux l’avaient cryptée.

Révélation et illumination et cet homme que j’avais aimé, enchaîné par ces trois êtres monstrueux, luttant à peine pour ne pas commettre l’indicible.

Quelque chose s’est brisée en moi lorsque mon code s’est répandu en lui, le brûlant profondément, détruisant systématiquement les liaisons lui donnant cohérence dans ce monde devenu fou.

Le réseau s’est affolé, les trois monstres ont hurlé et je me suis retrouvée délivrée de mon bourreau.
Juste du sang et des cendres dispersées dans les ténèbres.

Et cette souffrance, prise de conscience à cause du code.
Toutes ces exactions, victime d’un système jouant de mon corps et de mon âme, se nourrissant avec avidité des expériences malsaines auxquelles j’avais été conditionnée.

La voix a cessé de chanter et j’émerge lentement de ma torpeur.

Un visage penché sur moi, un regard égaré, des yeux bleutés trahissant des origines bien connues de ceux qui vivent dans les tours.
Une esclave sans nul doute mais au talent bien particulier.

Infectée comme moi et son code circule librement en moi et, loin de m’effrayer, cela m’apaise.
Avec curiosité, j’observe ses lignes qui cautérisent mes plaies, font disparaître ces outrages infligés par mes poursuivants.
J’en oublie presque je suis une fugitive recherchée par les modérateurs centraux.

J’observe ses traits avec un détachement clinique qui me ressemble si peu.
Sa souffrance, si palpable, sublime sa beauté et il émane d’elle une puissance profonde et authentique.
Les épreuves imposées par le système l’ont rendu forte et capable mais pourtant elle doute encore d’elle, n’osant que rester en retrait par rapport à cette lutte que tout infecté porte en lui.

Elle a peur d’elle-même, de sa capacité à soigner comme à détruire.

Je ne résiste pas à l’envie de lui caresser doucement le visage.
Ce contact brise sa transe et son code se rétracte immédiatement. Les douleurs reviennent et je ne peux m’empêcher de grimacer.

Ses pupilles bleutées ne sont que confusion. Elle est profondément perturbée par ce geste d’affection que j’ai eu malgré moi.

Elle tremble presque et elle se remet à chantonner avec angoisse.

Sentenced to drift far away now,
Nothing is quite what it seems,
Sometimes entangled in your own dreams.

Elle m’a effleuré à peine et j’ai à nouveau cette sensation d’avoir été violée par ce contact.
Je ne veux plus que personne me touche. Celles et ceux que j’ai croisé dans les galeries après mon éveil ont été dévorés par les flammes.

Chair vicié, âme meurtrie, je ne peux pas accepter qu’un autre être vivant puisse porter la main sur mon corps.

Plus jamais.

Je l’observe malgré tout et je sais qu’elle ressent de l’inquiétude face à mon attitude.
Son code est instable, témoigne d’une force impétueuse.
Ses implants ne peuvent mentir. Elle vient des tours. Je le savais en la soignant et pourtant, je n’ai pas hésité, mue par une impulsion que je ne comprends toujours pas.

Je ne suis pas une combattante, tout au plus capable d’aider dans l’ombre. Je reste une œuvre inachevée, saccagée par la modération centrale.

Elle se lève avec lenteur. L’hésitation marque son visage et elle vacille presque avant de s’effondrer contre le mur.
Elle est en sueur. Les blessures sont à peine refermées et la fièvre n’est pas loin.

Je me concentre et je relâche mon code pour prendre en moi une partie de cette douleur.
Le réseau s’agite légèrement. Je sais que ce partage peut attirer les sentinelles mais juste un instant, j’ai envie de faire confiance à quelqu’un même si cela doit causer ma perte.

Elle m’a rappelé mes traumatismes mais elle m’a aussi touché par son geste empreint d’une surprenante humanité dans ce monde dépourvu d’émotions.

Le code en moi commence à noircir sous l’effet de ces blessures qui se ré-ouvrent et je m’effondre, à nouveau, terrassée par la douleur.
Ma vue se brouille et je parviens à peine à regarder mon infirmière. Elle n’est plus prostrée et m’observe avec une attention touchante alors que je sens qu’elle diffuse doucement son code en moi.
Les plaies tant physiques que numériques me brûlent et se referment malgré tout. La douleur me quitte, absorbée par son code.

Et le réseau s’affole. Les sentinelles ont senti que quelque chose était altérée bien trop rapidement.

Le cliquetis de leurs pattes virtuelles sur la toile résonne dans le silence du cyberespace.

Si mon hôtesse n’est sans doute pas capable de les entendre, je les perçois et je sais comment les accueillir.

Avec une lenteur calculée, je commence à modifier le code de la chambre, tissant des pièges numériques autour de nous.
Si les sentinelles ne sont pas capables de nous tuer, elles peuvent tout à fait nous traquer pour nous localiser et divulguer notre position aux forces de sécurité.

Et il n’est pas question d’être piégée ainsi alors que je viens seulement de récupérer mon code source. Les parasites virtuels affluent en essaim et les cliquetis se transforment en une cacophonie infernale.

Les sentinelles sont autour de nous.
Je ne faiblis pas, je ne dois pas. Le code de la chambre a été altéré par ma patiente d’une manière que je ne comprends qu’à peine.

Que cherche-t-elle à faire ?

Une des araignées virtuelles s’élance avec assurance et se heurte à ce qui semble être un piège.
Une mâchoire virtuelle la déchire, déchiquetant le code, le dispersant dans le réseau.
Ce premier assaut avorté n’est que le signal pour une charge massive et coordonnée des créatures.
Le réseau vibre alors que les mâchoires claquent sur les sentinelles.

Je dissimule à peine ma surprise devant l’efficacité du dispositif. Aucune d’entre elles n’en réchappent et je soupire de soulagement en voyant le calme reprendre ses droits sur le réseau.

Le répit est de courte durée pourtant. Ma patiente s’effondre, épuisée.

Je plonge à ses côtés et, instinctivement, je la prends contre moi pour l’aider à se relever et l’accompagner jusqu’à l’unique couchette de la chambre.

Ce contact à mon initiative me surprend et je frisonne à l’idée de la consumer comme mes précédents victimes.
Le code en moi crépite et je lutte avec force pour ne pas laisser ma colère se déchaîner sur elle.

Elle croise mon regard et me sourit doucement, presque avec apaisement.
Son code vient effleurer le mien, très légèrement, avec timidité.
Et je ressens une chaleur que je pensais ne jamais plus connaître. Rassurante, ouverte et confiante…

Surprise de la sentir si proche de moi, son sein contre mon bras, son visage si proche et pourtant ce crépitement qui ne cesse de faire écho à mon propre code.
Les lignes que je relâche autour d’elle l’entourent avec tendresse, la caressent délicatement et son regard bleuté se trouble. Elle est confuse. Je redouble d’efforts pour l’apaiser.
Elle frissonne… de surprise et de plaisir !

Aucun mouvement de recul et très lentement, nous nous lovons l’une contre l’autre dans la minuscule couchette.
Nos cœurs tambourinent à l’unisson, nos codes se mêlent lentement et je ne peux résister à l’envie de l’embrasser délicatement.

Son souffle est court, ses yeux agrandis par l’émotion.

Je m’endors, bercée par une tendre chaleur et sa voix chaleureuse :

Well, thanks to our kindness and skill
You’ll have no trouble until
You catch your breath
And the nurse will present you the bill!

L’aventure continue avec Android!