En attendant que la série Le Néant reprenne (petite pause estivale le temps que je finisse de tout taper, la fin étant encore sous format manuscrit), je vous propose de découvrir cette mini trilogie composée après la relecture et publication de Danse avec la Mort.

Bonne lecture!

I. Avec une précision effrayante, il arracha l’âme de sa proie, s’en délectant avec une sensualité grossière. Il redécouvrait comme à chaque fois ses sensations, sentait courir en lui la puissance mais également la maîtrise parfaite de ce corps de basalte, grossier, infâme, prison pour avoir osé défier son Dieu…

Pourtant quelque chose n’allait pas comme d’habitude, il ne comprenait pas…

Aliaci était conscient du prix de son arrogance mais, ô jamais, il ne reconnaîtrait avoir commis une quelconque faute car cette malédiction ne reflétait que la peur ressentie par la divinité à son égard.

Seigneur de guerre cruel et sans scrupule, il avait bâti son empire avec le sang de sa famille, se repaissant de la souffrance et de la soumission du faible. Créature à l’esprit dérangé, au regard fou, au courage démesuré, il appréciait tout particulièrement qu’on le supplie longuement avant qu’il fasse tomber son unique sentence : la mort.

L’existence ne valait le coup d’être vécu qu’en étant le plus fort et ses ennemis le craignaient de son vivant et encore plus à présent qu’il était devenu un « vampire ».

Du moins, était-ce ainsi qu’il se nommait à qui voulait bien l’entendre même s’il n’avait jamais croisé de véritables vampires. Nourrissant sa malédiction des folklores découverts lors de ses errances, il prétendait s’abreuver du sang des vivants pour survivre.

Son corps de basalte n’avait pourtant aucun besoin de quoique ce soit et s’il dévorait des âmes, il s’agissait surtout de retrouver ses sensations perdues et surtout répandre cette terreur sourde, jouissive et représentatives de sa folie rampante et contagieuse. Sa seule présence suffisait à faire délirer les plus sensibles et des villes entières furent évacuées à sa seule approche.

Mais de vampire, il n’en avait que le nom. Aucune des faiblesses naturellement attribuées à ce monstre ne lui était connue. Aliaci ne craignait ni le soleil, ni les symboles divins ou autres armes habituellement capables de terrasser ces buveurs de sang. Cela, il l’expliquait sans mal, assurant qu’il était une espèce évoluée et indestructible.

Bien entendu, Aliaci n’avait aucun respect pour les femmes alors qu’il était encore humain, il se repaissait autant des massacres que des viols perpétrés lors de ces guerres qu’il déclenchait sans relâche.

Jusqu’au jour où ses ennemis las et acculés eurent l’audace de le provoquer au point de l’inciter à aller défier le Dieu qui régnait sur ce monde. Un seigneur de guerre aussi puissant ne pouvait qu’avoir un divin adversaire et, qui plus est, ce dieu inconstant était le seul à ne pas s’incliner devant la puissance manifeste d’Aliaci.

Le fou ne résista pas longtemps à l’appel du sang et se voyant déjà régner sur le monde, ce Dieu arrogant réclamant sa clémence à genou, il se mit en route, seul, car personne n’oserait de toute manière entravé sa quête. Aliaci était reconnu à contrecoeur par ses adversaires comme un bretteur sans égal et il aurait été difficile de trouver un être plus fou que lui pour répondre à ses défis.

Des années durant, Aliaci le fou erra, recherchant la demeure cachée de son Dieu. Ces années furent pour le peuple de ce monde un moment de paix à nul autre pareil car le monstre qui les avait plongés dans le chaos avait disparu dans sa recherche insensée.

Pourtant, il devait finalement trouver ce qui serait pour lui une éternelle prison. Au somment d’un pic solitaire, il découvrit d’étranges symboles, des stèles disposées de manière à créer un portail vers un autre univers.

Malgré son astuce, il ne parvint à déchiffrer le message qu’au bout de nombreuses années supplémentaires. Ce fut par une nuit sans lune que la solution lui parvint et le portail s’ouvrit pour lui livrer passage vers la dernière résidence de son Dieu.

Ce qu’il trouva, personne ne le sut jamais mais il en revint changé des siècles après au point que l’humanité avait oublié tout de son existence.

Enfermé dans un golem de basalte finement sculpté à l’apparence quasi-humaine, seule sa peau sombre trahissait son origine surnaturelle. Il se mouvait à une vitesse impressionnante et sa force décuplée lui permettait de se défaire de n’importe quel adversaire à mains nues. En revanche, la folie au creux de son âme n’avait fait que croître durant sa disparition. Au point que la ville d’où il avait jadis gouverné son empire plongea dans une folie furieuse à son entrée. Les simples disputes, les colères passagères, les rancoeurs, les jalousies trouvèrent un exutoire particulier dans son sillage. Véritable vivier aux plus affreuses pensées humaines, cette cité qui avait évolué en un gigantesque complexe tentaculaire où le fort se nourrissait du faible réagit de la manière attendue au retour de son ancien maître. Les autorités ne comprirent pas vraiment ce qui se passait et Aliaci découvrit qu’il pouvait causer la souffrance et le tourment autrement qu’en dominant ouvertement l’humanité.

Il en voulait pourtant à ce Dieu de l’avoir soumis de la sorte en lui retirant ses sensations humaines. Il ne jouissait plus des menus plaisirs de la vie, en souffrait profondément et se défoulait en arrachant des âmes, construisant autour de lui un culte du « vampire » pour qu’on lui offre des sacrifices.

Mais, jamais Aliaci ne prenait d’âmes de femme car il craignait que celles-ci affaiblissent sa virilité. Les femmes étaient pour lui des tentatrices qui ne méritaient aucune considération. Le seigneur de guerre des temps anciens se méfiait de cette chair qu’il regrettait pourtant car non content de l’avoir enfermé dans ce corps de basalte, son Dieu l’avait également castré de la pire manière qui soit. La sculpture présentait une particularité assez frappante : l’endroit où un vît aurait dû être ne laissait entrevoir qu’une surface lisse.

Grande frustration pour celui qui se targuait d’avoir mille enfants, tous de femmes différentes violées durant ses exactions sanguinaires.

Or, il advint qu’une femme déguisée en homme osa se glisser dans la congrégation dédiée au culte d’Aliaci. Avec elle, elle présenta une magnifique Vénus de marbre, car elle savait que le monstre avait soif d’icônes féminines avec lesquelles jouer pour assouvir sa frustration de n’être plus qu’une créature impuissante.

Le présent fit son effet au point que la jeune femme fut reçue seule dans le sanctuaire d’Aliaci. L’homme de basalte l’attendait sur son trône imposant et le feu qui brûlait sous ses paupières minérales manqua de la faire plonger dans les gouffres les plus infâmes de la folie. Le mal et les ténèbres émanaient de cette créature et elle s’ingénierait à le renvoyer à la terre qui n’aurait jamais du le vomir. Elle savait qu’aucune arme n’avait jusqu’alors réussi à défaire l’humanité de ce démon. Pourtant, elle était certaine de réussir, le sacrifice qu’elle allait réaliser libérerait la communauté mais également son amante de la menace de ce prédateur sanguinaire.

Androgyne, les cheveux courts, elle ressemblait en tout point à un jeune homme maniéré et prenant soin de lui. Elle connaissait les goûts de sa proie, le savait amateur de jeunes hommes musculeux mais fins.

Il ne comprit trop tard son malheur qu’au moment où il commença à absorber son âme. Elle entrait en lui avec toute sa conscience, ce que ses proies masculines ne pouvaient faire. Elle se glissait en lui, le remodeler, l’entraîner dans des sensations qu’il ne voulait ressentir. Ce viol lui sembla durer une éternité. La bête prise en cage par ce qu’il pensait être une simple victime. Un sang surnaturel commença à suinter de ses yeux de basalte. Ce liquide poisseux ne pouvait venir que de son âme déchirée par son étrange visiteuse.

Il ne trouva finalement qu’une seule solution et dans un râle profond, il rejeta l’âme de la jeune femme dans la statue de Venus. Le choc provoqué les projeta l’un et l’autre au sol.

Un cri déchirant d’un désespoir inhumain jaillit des lèvres de la déesse de marbre à mesure que la vie infusait la pierre.

Aliaci ricana et regarda celle qui espérait le faire chuter :

« Te voici ma sœur et à présent tous te craindront. Aliane… »

La suite, c’est par ici!