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Cyberpunk ID
by *Irkis
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Deus Ex Machina vient à peine d’être intégralement publiée que je me relance dans un autre univers dystopique sans doute parce que je prends un plaisir particulier à écrire dans ces environnements permettant toutes les folies mais également parce que ce sont des espaces propices pour dénoncer certains comportements erratiques de nos sociétés actuelles. 

Donc voici, DATAsucker, nouvelle one-shot pour l’instant.

Les lyrics évoqués tout au long de cette courte nouvelle sont de Danger Silent et de leur cover de Crystallize de Lindsey Stirling.

In front of me lies our disease.
Why do we do this to ourselves?

Ces quelques mots résonnent dans mes oreilles à mesure que la mélodie m’entraine au détour des profondeurs du réseau.

Les lumières de ville scintillent devant mes prothèses oculaires et je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au cœur à mesure que mon égo s’effondre dans le réseau, infime partie de données contaminées par un virus que nous ne comprenons pas.

Je suis infectée, je ne l’ai pas choisi mais c’est devenu une addiction révélatrice de mes plus sombres penchants. Je dévore les données, les agrège, me fait un shoot de data avant de rebondir, toujours en proie à cette faim dévorante qui me pousse à consommer sans fin ces 1 et 0 qui constituent tout individu.

2090 et le monde va mal. Autour de moi, tout bouillonne. La chaleur de la mégalopole a laissé place à un vide considérable dans le réseau. Une froideur aseptisée nous entoure. Tout est modéré, analysé, réadapté au point que nos données, notre essence semble violée de notre naissance à notre mort.

Seuls les infectés survivent… et encore…

J’ai péché et c’est sans doute ce qui m’a perdu. Une nuit, j’ai désiré un être humain plus que je n’aurais du. J’ai ouvert la boite de pandore. Un seul tabou régit cette société de la donnée duquel j’étais esclave : ne jamais ouvrir le code source d’un être humain.

Cette interdiction ultime, je l’ai contournée et j’ai commis la pire des violations. Il était doux et tendre avec moi, un ami tout au plus. Je désirais pourtant autre chose, allez au-delà de cette relation contrôlée et surveillée.

A l’aube du 22ème siècle, l’amour n’existe plus. Nous ne sommes que données préprogrammées.
Les naissances sont limitées et les modérateurs centraux édictent des règles toutes plus liberticides les unes que les autres. Bien entendu, seuls les infectés en sont conscients et le reste du troupeau n’est voué qu’à l’abattoir. 0.5% d’anomalies, voilà ce que nous représentons tout simplement parce qu’à un instant nous avons aspiré à échapper à ce gigantesque foutoir où nous vivons pour mourir.

Soirée étrange…
Le reflet des soleils artificiels donnaient une allure délicieuse à tes cheveux et je ne pouvais m’empêcher de te sourire. Cet éveil, je m’en souviens avec tant de précisions que je crains de perdre la raison à force de me le remémorer. Les traits de ton visage étaient tirés, la fatigue évidente de ces 12 heures de travail que tu avais enchainé dans la journée. Pourtant, les modérateurs centraux avaient jugé bon de t’accorder une soirée de distraction afin de relâcher la pression.

J’étais ce cadeau, cette distraction et nous allions sans doute faire l’amour, à nouveau comme ceux-ci l’avaient prévu dans le script pré-écrit de nos existences confinées à une routine bien trop restrictive.

Le satin de ta peau, la douceur de tes caresses, la chaleur de tes lèvres…

Nos barrières tombent, le scénario suit son cours et rapidement nous nous mélangeons avec délice. Je ressens ton excitation, cette virilité épanouie et nous nous laissons entraîner dans ce ballet sensuel ponctué de cris, de soupirs de plaisir…

Plaisir contrôlé…
Les modérateurs sont là pour déclencher l’orgasme. Il ne peut y avoir de misère sexuel, ils sont là pour nous contenter et mener notre bonheur du berceau à la tombe.

Sauf que tout est allé bien plus loin qu’ils n’avaient prévu.
Mon plaisir est venu trop vite et une émotion qui n’était pas programmée est née.
Je t’ai aimé d’une manière que je n’ai pas comprise. Je t’ai embrassé, absorbé et vu ces données en toi. J’ai été fascinée et je me suis plongé en toi avec cette avidité dévorante de te découvrir jusque dans le moindre de tes recoins. Alchimie fabuleuse, horlogerie fantastique. Je savais intuitivement où appuyer pour te faire jouir, ou pincer pour te faire souffrir et j’ai joué jusqu’à me réveiller au milieu de tes entrailles, couverte de sang et décontenancée.

Déconnectée du système, hors de toute atteinte virtuelle des modérateurs centraux et terrifiée de découvrir ce monde tel qu’il est : mégalopole fantôme où les moutons de l’abattoir avancent sans jamais se rencontrer, le regard vide, des pantins sans âme, véritables zombies esclaves des données qui les enchaînent.

Et ses 0 et 1 qui tourbillonnent autour de moi, s’entortillent, tentent de m’attirer à nouveau dans leur filet, en vain…

Je suis infectée.
J’ai transgressé le tabou ultime en dévorant ton code source, mon amour, et tu meurs en moi petit à petit car je n’arrive pas à t’assimiler totalement.

Ce regard apeuré et ma faim se révélant insatiable. Tu me manques… peut-être…

Je ne sais plus qui tu es, juste que je t’ai tué pour m’émanciper.

La chaleur sur le toit du bâtiment devient intense.
Les modérateurs centraux ont détecté que j’étais revenue sur le lieu de ma libération, par nostalgie sans doute mais surtout pour récupérer des données bien particulières.

Cette sauvegarde contient la clé de mon initialisation, ma naissance au sein de la base de données du système et cela vaut la peine que je risque ma vie, ne serait-ce que pour connaître mon véritable nom.

L’onde de chaleur se matérialise peu à peu et j’entrevois des silhouettes à travers.
Les forces d’intervention spéciale. Des sentinelles sans scrupule, inféodés aux modérateurs, capables d’effacer les individus aussi bien dans le monde réel que sur le réseau.

Disperser le code dans la matrice originelle n’a jamais été aussi simple pour ces tueurs d’exception.

Je dois agir vite.

Les lignes de codes semblent plus faibles à certaines parties du toit et je sais que je peux les décomposer en adaptant ma structure pour les traverser. J’absorbe certaines données, suffisamment pour créer une brèche, trop peu pour subir l’ivresse fatale à nombre d’infectés et je m’engouffre.
Le couloir n’a pas changé.

La température vient de tomber et je perçois le désarroi de mes poursuivants. Ceux-ci ne peuvent dévorer le code comme je le fais et c’est ce qui me sauve pour cette fois. Les lumières intérieures sont plus douces, me rassurent presque et c’est avec un soupçon de nostalgie que je redécouvre les lieux de mon éveil. La porte a été changée, la serrure également. Le code est tout frais mais bien trop lâche pour m’empêcher de passer.

En à peine quelques secondes, j’infecte la serrure, corrompant son code discrètement pour ne pas me faire repérer par les sentinelles virtuelles du bâtiment. Il n’est pas question d’engager un affrontement direct. Trop tôt encore…

Tout a été nettoyé…
C’était il y a plusieurs semaines bien entendu et je sais que les médias en ont parlé abondamment. Il fallait raviver la haine à l’égard des infectés. Le sujet principal d’inquiétude des modérateurs centraux : pourquoi existons-nous et parvenons-nous à faire planter le système par notre éveil ?

Je te revois magnifique, me prenant avec cette virilité programmée.
Mécaniquement, nécessairement, sans émotion.
Puis ton cadavre en devenir, tes yeux terrifiés et ce sang dans la bouche, sur mes seins, cette jouissance infâme de t’avoir consommé d’une manière que nos bienveillants créateurs n’auraient jamais prévus.

La musique dans ma tête reprend de plus belle.

In front of me it’s easy to see,
How we could do this to ourselves…

L’équipe de nettoyage n’a pas récupéré la sauvegarde contenant mon véritable nom.
Je suis proche du but et je ne peux m’empêcher de jubiler, balayant les derniers remords liés à ta mort. Une minuscule éraflure sur le code, une brèche tout au plus et la certitude que je peux à présent m’y introduire en l’élargissant suffisamment pour récupérer les données. Le code s’écarte devant mes virus que je déploie tout autour de moi. Les sentinelles ont perçus l’anomalie dans la trame et commencent à affluer vers moi. Ce n’est qu’une affaire de quelques minutes avant que je sois piégée. Je suis seule et personne ne viendra à m’aider.

Le code source de mon initialisation est dense, plus lourd que je pensais et l’extraction prend du temps.

60 secondes, 30 secondes… le réseau crépite.
Les forces d’intervention spéciales approchent également.

Tout va devenir bien trop compliqué pour moi mais je ne peux me débrancher maintenant.

Plus que 10% à charger et j’ai réussi à récupérer le secret de ma naissance, nécessaire à tout infecté pour comprendre quel est son rôle pour faire tomber le système central.

1% et plus que 10 secondes…

Les ultrasons envoyés sur le réseau par les sentinelles vrillent mes tympans. Je me croirais en enfer tant  cet appartement est devenu un fourneau à cause des tueurs à mes trousses.

Rugissement rauque, je repousse mes assaillantes virtuelles, me déconnecte, le code d’initialisation enfoui en moi. Ce que je découvre dans l’appartement n’est que flamme et chaos. Les forces d’intervention spéciales ouvrent un feu nourri contre moi. Je me sers de parades et protections tant virtuelles que physiques pour dévier leurs tirs.
Certains me touchent pourtant, me brûlant profondément.

La baie vitrée… seul échappatoire à portée…

Je plonge sans même écarter le code, les vitres explosant à mon passage, blessant au passage certains de mes poursuivants et la chute… une centaine d’étages avant l’impact final…

Ces instants que j’ai passés avec toi défilent devant mes yeux, nos rires, nos moments complices et surtout cet émoi que j’ai ressenti avant de te tuer de la pire des manières…

Tu me manques toujours mais je suis à présent libre de toi comme d’eux…

Tout s’éteint lentement dans mon esprit, à l’exception de ces derniers mots chantés avec espoir dans ma tête :

Now our paths have crossed in tragedy.
Now we’re free. Now we’re free!

L’aventure continue avec Hunter!