Voici le troisième volet des Ténébreuses, cycle composé d’Another Vampire Story et de Brume. Ce récit est issu d’un travail préparatoire commencé il y a plus de quinze ans et dont je vous livre avec grand plaisir cette synthèse. Bonne lecture et n’hésitez pas à me faire part de vos avis!

I. Le champ de bataille s’étend à perte de vue et où que se pose mon regard, il n’y a que cadavres en armure. L’air charrie cette odeur de décomposition propre au charnier et ma bouche est imprégnée par le gout du sang. Appuyé sur mon épée, je contemple avec dégoût ce gâchis Chats et Humains s’étant exterminés dans la violence et l’incompréhension.

Il avait suffi d’une simple provocation pour mettre le feu aux poudres. Un couple assassiné, des rumeurs colportées et ce qui était au départ une simple guérilla s’était progressivement transformée en guerre totale. Perdu dans mes pensées, je ne vois qu’au dernier moment, le Chat blessé qui rampe jusqu’à moi et qui agrippe avec férocité ma gorge de sa griffe sanglante.

Son rictus haineux devait  être la dernière chose que je verrai…

Je sursaute et découvre avec stupéfaction la pièce de bœuf écrasée dans mon poing alors que je reviens à moi dans le rayon boucherie d’un quelconque supermarché. Les autres clients passent à côté de moi, le regard inquiet devant le spectacle étrange de ce jeune homme figé dans une allée, la main couverte de sang. Je leur adresse un sourire d’excuse. Un employé du magasin, le visage réprobateur, vient me débarrasser de la pièce abîmée en me signalant d’aller la payer et nettoie le sol souillé en me demandant de quitter le rayon. Je m’exécute avec lenteur, encore perturbé par la vision étrange que je venais d’avoir. Un passé rémanent, une guerre d’une autre époque, des créatures étranges et monstrueuses.

Je quitte le magasin rapidement après m’être à nouveau confondu en excuses d’avoir perturbé leur quotidien et j’erre quelques temps dans les rues où le crépuscule commence à établir son royaume. Mon moment préféré de la journée. Cet instant étrange où le jour et la nuit s’enlacent dans cette étreinte sensuelle, les ombres, la lumière se fondent en un ensemble harmonieux, révélant parfois au regard profane des éclats mystiques d’autres univers. Les rues sont désertes, le froid mordant y contribue grandement et les rares passants se hâtent de rejoindre la chaleur de leur foyer.

Au détour d’une rue, je fais une singulière rencontre. Un jeune chat noir, figé, fixe avec attention un point invisible à mes yeux. Je m’approche doucement, intrigué. Encore plus étrange, le chat ne prête même pas attention à ma présence. L’animal regarde avec intérêt la fenêtre ouverte d’une maison. Sans aucune honte, j’y plonge à mon tour le regard et je frissonne, non pas à cause du froid mais par la chaleur que je ressens soudain.

Des flammes règnent au-delà de cette fenêtre mais aucune fumée ne s’en échappe. Par instant, j’entends des cris d’agonie auxquels se mêlent des râles de jouissance. Des ombres mouvantes se dessinent à l’éclat des flammes et il me semble entrevoir un couple en train de forniquer. Je cligne des yeux et jette un œil au chat à côté de moi.

La stupeur m’emplit lorsque je me rends compte que l’animal n’est plus là et qu’à la place se tient une silhouette humanoïde à tête de chat. Son visage félin se tourne vers moi et me sourit, sinistre et moqueur. De sa patte velue, il me fait signe de continuer à suivre la scène par la fenêtre.

Alors que ma raison me hurle de fuir, mon corps semble paralysé et je vois mon regard revenir vers la scène. Les images se précisent, les flammes se dissipent et peu à peu je distingue ce couple, un homme, une femme, chacun marqué d’un tatouage en forme de croissant de lune. L’amour se lit dans leur regard mais aussi la culpabilité d’une union contre nature. Ce moment d’accalmie ne doit durer qu’un instant.

Mon compagnon spectateur verse une larme de sang lorsque la porte de la chambre explose. Des humains accompagnés d’êtres à tête de chat pénètrent dans la pièce, de longues lames effilées aux poings des hommes, les griffes sorties pour les chats. Le couple hurle de terreur. L’homme se redresse bien décidé à défendre la vie de sa compagne. En vain. Les deux amants sont enchaînés et maîtrisés sous les rires vulgaires de leurs agresseurs…

Je détourne les yeux. Mon compagnon félin a disparu et lorsque j’hasarde un regard vers la fenêtre, je constate avec stupéfaction que celle-ci est fermée. Le froid est revenu, la chaleur a disparu. Je me masse la nuque pour faire de l’ordre dans mes pensées. La nuit tombe à présent, le crépuscule lui cède sa place et les rues me semblent soudain monstrueuses et effroyablement dangereuses.

Avec hâte, je rejoins mon foyer solitaire en priant intérieurement de ne plus laisser la curiosité me détourner de mon chemin. Fébrile, j’insère la clé dans la serrure. Le loquet fait un bruit sinistre lorsque j’ouvre la porte. Je la referme rapidement, profitant enfin du calme de ma tanière, appréciant ces chaleureuses ténèbres. Une profonde sérénité m’envahit, évacuant ces deux visions que j’ai eues successivement.

J’allume une simple veilleuse pour profiter encore quelques instants de ce clair-obscur enchanteur propre à ma demeure. Les rangées de livres, amas de connaissance et de rêverie, me rappellent les longues soirées passées à voyager à travers eux loin de cette humanité incompréhensible que je fuis depuis mon plus jeune âge.

Je laisse aller mes pensées, ne remarquant pas la fenêtre ouverte jusqu’à ce que j’entende un miaulement sonore et railleur. Je me tourne lentement vers mon lit… Le chat, assis, me regarde avec intérêt, ses yeux verts brillants d’une malice qui ne peut lui appartenir…

La suite, c’est par ici!