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Remember me 01
by ~paooo
Digital Art / Drawings / Illustrations / Conceptual ©2012-2013 ~paooo

Voici la suite de DATAsucker, toujours dans un univers cyberpunk, vaguement dystopique, s’il en est 😉

La musique tient un rôle prépondérant dans mon écriture, puisqu’elle habille les mots d’une ambiance particulière qui n’est pas toujours évidente à restituer.
Ce texte a trouvé un écho particulier dans la chanson Protect Me From What I Want de Placebo et plus particulièrement dans sa version visuelle Protège-Moi, réalisée par Gaspard Noé.
Les lyrics illustrent remarquablement bien le dilemme du personnage que vous allez découvrir.

Bonne lecture et n’hésitez pas à faire part de vos critiques positives comme négatives 😉

It’s the disease of the age

It’s the disease that we crave

Le bar est encore calme. Cela ne va pas durer. Chaque soir, c’est la même chanson. Les infectés arrivent les uns après les autres et la fête débute avec toujours le même épilogue.
Des corps enchevêtrés, des âmes égarées, une orgie sans nom pour oublier le lendemain et recommencer soir après soir cette lente mais certaine descente vers l’oubli le plus abject.

Dans un sens, je les comprends.
Les modérateurs centraux ne leur ont donné aucun autre échappatoire que la mort et ils savent que tôt ou tard, les équipes de nettoyage viendront prélever leur du.
Leur seule chance d’y couper, c’est ce bar itinérant. Très dur à localiser, le lieu brouille toute tentative de percer le code l’isolant du reste de la ville et des sentinelles de pistage mises en place par l’autorité centrale.

Un instant, je m’attarde sur les visages extatiques de deux hommes.
Ils partagent leur code, s’enivrent l’un de l’autre de leur substance dans une étreinte alternant caresses numériques comme réelles.
Ce ne sont ni les premiers ni les derniers à s’adonner à cet acte contre-nature et ne serais-je pas moins même infecté que je les aurai déjà dénoncé aux autorités.

Je les envie presque d’être parvenus  à un tel lâcher prise. Je n’en serais jamais capable, sans doute parce que le monde autour de moi m’appartient et je lui refuse de me jouer des mauvais tours.

Leur intimité dans le bar ne choque personne et, à mesure que le lieu se remplit, je ne peux m’empêcher de sourire dans ce que j’admire.
Un rejet profond de la société hétéronormée dictée par les modérateurs centraux.
Les limites genrées se brouillent. Les individus se mêlent les uns aux autres dans des ballets sensuels qui perturberaient profondément les bien-pensants encore piégés dans la société de surveillance.

Mon sourire peut paraître presque bienveillant au point que femme comme homme m’approche, effleurant mon code de leurs doigts graciles, m’accordant des caresses plus qu’appuyées, m’entraînant à leur suite au milieu des corps toujours plus nombreux.

La musique qui résonne dans le bar m’entête, me porte dans ce mouvement sensuel, véritable onde brûlante consumant mes sens.

Remember when we’d celebrate

We’d drink and get high until late

Un homme me sourit et je ne peux résister à l’envie d’effleurer son visage, de découvrir le code qui le compose, de goûter sa peau, ses os, ses fluides, jusqu’à me fondre en lui dans un orgasme salvateur sans jamais lui laisser accéder à mon être intime.

Je ressens sa frustration mais je repousse l’intimité qu’il me réclame. Je ne souhaite me livrer à personne, juste profiter de la fête tout au plus, tout en observant sans jamais être pénétré.

L’androgynie de la jeune femme qui danse à mes côtés me fascine et elle capte mes regards, un peu inquiète, sans doute parce que c’est la première fois qu’elle vient ici.
Infectée il y a peu de temps. Quelques semaines tout au plus et déjà un goût immodéré pour ces raves numériques, ultime planche de salut pour qui veut fuir cette société à laquelle nous appartenions.

Si seulement elle savait.

Femmes comme hommes tournent déjà autour d’elles. Les fêtes répétées les ont flétris et ce potentiel qui les a touchés lors de leur infection n’a laissé que des coquilles vides de toute âme.
Egarés sensuels en quête de sensations toujours plus fortes. Drogués du code, avides de consommer cette jeune femme tout juste éveillée.

Des zombies qui font tâche sur le grand échiquier de l’humanité laissée entre les mains des modérateurs centraux.

With both of us guilty of crime

And both of us sentenced to time

A faire disparaître rapidement, sèchement, sans possibilité de rachat.

Tous les infectés attendus sont là et je sais que je peux à présent lancer le signal et apporter à mon employeur ces créatures qui auraient pu être mes frères et sœurs à un châtiment que je ne saurais dire s’il est mérité ou abusif.

Je décompose le code du bâtiment, dévoile le lieu avec ce talent qui me rend si précieux à mon mandataire.
Et de ces lignes de zéro et de un, je récupère la substance numérique qui me camouflera aux forces d’intervention attirées par mon signal.

Des hurlements, mais je suis déjà loin.
Il ne reste que cette chaleur qui me rappelle mon éveil, qui souligne cette solitude qui me taraude jusque dans mon sommeil, la certitude de n’avoir nul part où rentrer.

Cette femme que les modérateurs centraux m’avait programmé d’aimer, de chérir et de défendre au prix de ma vie. Cet enfant que nous avions eu mais qui n’était qu’un mensonge tissé par le système et cette anomalie que je me refuse de remettre en cause de peur de devenir fou.

Elle s’est éveillée, volontairement, infection qui l’a coupé de moi et elle nous a condamnés par son acte égoïste. Elle ne savait pas se protéger et les sentinelles l’ont repérée immédiatement. Elle était ivre de ce code qu’elle absorbait à n’en plus pouvoir. Des données en quantité toujours plus importantes jusqu’à les modérateurs remontent jusqu’à elle et déclenchent le nettoyage. Je la croyais atteinte d’une maladie qui pouvait être soignée. Je n’avais pas conscience de son infection jusqu’à que les ondes de chaleur infernales nous encerclent, dévorant la chair de notre enfant. Aucun témoin.

Comment y ai-je échappé ?

Je ne m’en souviens même plus mais lors de mon réveil, j’étais différent, infecté et terrifié également d’avoir été à ce point abandonné. Et pourtant…

Je savais que ma rédemption passerait par l’extermination systématique des infectés. Collaborer avec les modérateurs centraux faisait office d’ultime pied de nez au système mais cela me convenait.
Un chasseur d’infectés, lui –même contaminé. Tout le jeu était de ne jamais être pris par ceux qui avaient juré la chute de cette communauté d’anomalies numériques.

Un nid de plus d’effacé dans cette mégalopole délirante.

Je ne dors presque plus. Je préfère. Fuir les cauchemars par le travail, me préserver de la consommation de code qui pourrait me faire perdre tout contrôle et surtout continuer à purger ce virus qui m’a tout enlevé, jusqu’à cette place si confortable que j’avais dans le système.

Les sentinelles s’affolent sur le réseau et je perçois la présence des modérateurs centraux qui cherchent le chasseur.
Parce qu’ils ont besoin de moi, de mon talent pour traquer une de leurs proies qui vient de leur échapper.

Paie intéressante, plus que d’habitude sans doute, ce qui ne manque pas de me mettre la puce à l’oreille. C’est du gros gibier et cela vaut le coup de négocier pour doubler la prime.
A peine formulée que la demande est acceptée sans autre forme de négociation. Surprise de ma part que je dissimule, bien entendu, mais qui m’alerte.
Je veux la disparition de tous les infectés mais je ne désire pas pour autant risquer ma peau face à un adversaire trop expérimenté.

La cible, une infectée d’à peine quelques mois, venue récupérer son code d’initialisation sur le lieu de son éveil. Petite folle…

Voilà une chose à laquelle je ne me serais jamais risqué mais qui mérite une certaine considération.
Ce code, c’est notre graal personnel, le secret de la naissance de chaque infecté, la compréhension du pourquoi de l’éveil et sûrement la voie de notre rédemption contre le système.

De quoi ébranler l’autorité de modérateurs centraux. Sans doute pour cela que la prime est aussi importante.
Ils ont peur qu’un nouvel infecté devienne trop puissant au point de mener les autres, trop perdus dans des fêtes décadentes, en un ensemble cohérent, revendicatif, capable de bouleverser l’état en place.

Je ne peux m’empêcher de sourire alors que je me mets en traque de ma proie. Elle laisse peu de traces, camoufle ses passages, ce qui complique la poursuite dans la ville tentaculaire.
Sa dernière localisation remonte à 3 heures. Elle a plongé à travers une baie vitrée et les forces d’intervention ont cru l’avoir laissée pour morte.
Grossière erreur, mais que peut-on vraiment attendre d’androïdes de ce type sinon de de sous-estimer l’être humain, faillible mais éminemment imprévisible ?

Son signal est faible et elle émet malgré elle de temps à autre, ce qui me permet de déterminer un périmètre de chasse.
Elle n’a pas encore eu le temps de disséquer et d’absorber son code d’initialisation, trop occupée à  chercher un endroit où se mettre à l’abri.
Elle est blessée, sans doute, et cela ne rendra l’exécution que plus évidente et naturelle pour moi.

Je reste un charognard et cela me convient parfaitement du moment que le système continue de me rétribuer jusque dans mes plus basses besognes.

Le quartier où elle s’est réfugiée ne manque pas de raviver des souvenirs.
Des usines à perte de vue et, ironiquement, elle s’est enfermée dans celle que je dirigeais lorsque j’étais encore partie prenante à la grande mascarade des modérateurs centraux.

Je déchire le code à des endroits stratégiques et je m’introduis silencieusement dans le bâtiment.
Mes yeux sont alertes, mes prothèses me procurent ce qu’il faut pour lire en profondeur dans le code et percer son camouflage. Elle est à moi et il n’est pas question que je la lâche.

D’une simple pensée, je compose un assemblage de zéro et de un adaptés à la création d’une lame numérique.
Le virus intégré est parfait pour disperser le code d’un autre infecté et ainsi l’abattre d’un coup unique.
Je n’aime pas m’embarrasser d’un affrontement long et fastidieux.

Simplicité, rapidité et efficacité, les trois maîtres mots pour toute entreprise rentable.

Sa respiration est saccadée et cela se ressent sur le réseau qui retransmet son angoisse.

Elle a peur. Elle est toujours sur ses gardes et je crains que la rencontre ne soit pas aussi simple que je l’avais prévue.

A peine ai-je eu le temps de lever à la hâte un bouclier numérique qu’elle commence à m’assaillir de toute part de ses virus.
Elle sait que je suis là et est bien décidée à en finir avec moi avant même de m’avoir vu en face à face.

Ses assauts sont mus par la force du désespoir et je sais pouvoir tenir le temps qu’elle s’épuise.

Les virus crépitent contre ma protection qui m’enveloppe à présent complètement. Je patiente, en vain.

L’ouverture ne vient jamais et mes défenses faiblissent graduellement.
Elle est plus puissante que moi, contre toute attente, et je commence à battre en retraite pas à pas, craignant pour la première fois pour ma vie.

Son désespoir s’est transformé en colère dévastatrice. Je perçois clairement ses émotions. Elle est éprise de justice, désireuse de renverser le système en place même si elle doit y parvenir seule et elle ne peut tolérer d’être entravée dans sa tâche. Je frissonne devant ses convictions et je vacille face à mon existence vide de toute émotion, de tout rêve.

Je brise le code me menant à l’extérieur du bâtiment et m’écroule, terrassé et vaguement terrifié.
Je réalise à quel point j’ai été prétentieux de mépriser ces infectés que je livrais sans fin aux autorités centrales.

Le visage de ma femme me revient soudainement. Son air sévère après son éveil.
Son discours enflammé, revendicateur et ses moments d’ivresse où je la tenais lovée contre moi, mi angoissé, mi rassuré de la sentir à nouveau proche de moi.

Puis cette révolte à nouveau contre un système injuste qui l’enchaînait à des normes qu’elle refusait sans cesse depuis son infection. L’aurais-je dénoncée à un moment sans le vouloir ?

Les souvenirs se brouillent, se mélangent et, par instant, je vois planer aux limites de mon champ de vision trois visages grotesques, ridés et haineux.
Leurs yeux sont le reflet d’une souffrance immense qui me cloue au réseau.

Je suis en danger, pris dans ce sentiment de profonde culpabilité. Cette musique entêtante me hante avec ces corps empilés les uns sur les autres consumés par le feu salvateur :

Protect me from what I want…

La mémoire me revient peu à peu.
L’explosion d’abord et les forces de sécurité qui arrivent, immolant sans hésitation cet enfant qui m’appelait « Papa » et qui m’aimait sans que je sois capable de lui rendre quoique ce soit en retour.

Puis, ma femme rendue furieuse par cette injustice, tissant autour d’elle ce code mortel qu’elle s’apprêtait à déchainer sur nos agresseurs.
Et moi, comme détaché de mon corps, me voyant bouger presque mécaniquement, approchant résolument de celle que j’avais aimé, par derrière, pour lui briser la nuque.
En périphérie flottant, diaphanes mais vitupérant ces trois visages de haine manipulant mon corps à l’aide de lignes de code quasi-invisibles.

Le choc est inévitable et l’infection se répand. Le code corrompu de mon ex-femme s’échappe de son corps rentrant en moi, profitant de cet instant de faiblesse où pris par le chagrin je ne suis plus capable d’accepter le collier qui me lie aux modérateurs centraux.

Les chaînes qui se brisent et le code sauvage qui tempête autour de moi, manifestation tant physique que virtuelle de ma tristesse, du désespoir d’avoir trahi ceux que je chérissais.
Les androïdes des forces spéciales balayés et brisés, les sentinelles du réseau décomposées et les modérateurs centraux renvoyés dans les profondeurs de leurs serveurs.

Puis le néant et je me réveille au pied de cette usine.
Elle n’est plus là. Elle a pris la fuite pendant ce voyage vers mon origine. Ce verrou que j’ai fait sauter m’a révélé aux yeux du système et je sens que les sentinelles du quartier sont en alerte.

Je suis affaibli par mon affrontement, par cette réminiscence au mauvais moment et je sens que les exécuteurs approchent.
Des vagues de chaleur autour de moi, venant des rues, de sous mes pieds, des toits.

Partout. Cet enfer que j’ai déjà expérimenté fond sur moi, brûlant mes chairs, rongeant le code qui me compose pour au final me disperser aux quatre coins du réseau…

L’aventure continue avec Parasite!