Après m’être complètement immergé dans Neuromancien et Comte Zéro, je ne pouvais qu’achever mon voyage au coeur de la Conurb avec Mona Lisa s’éclate, volet final de cette saga de saint William Gibson (oui, lui aussi, je le révère à présent 😛 ).
Pour celles et ceux qui dorment près du radiateur, rappelons que c’est l’auteur qui a donné naissance au terme cyberespace largement utilisé de nos jours ainsi qu’à tout un tas de petits mots qui font que le cyberpunk est ce qu’il est aujourd’hui en 2013 (je pense entre autre au terme ICE que l’on retrouve un peut partout et pas seulement dans Android: Netrunner).
Alors de quoi ça parle Mona Lisa s’éclate?
Comme pour le précédent volume, Gibson adopte le choix d’une narration à travers les points de vue de trois personnages bien distincts. Trois destinées qui vont se rejoindre invariablement dans les derniers chapitres pour un final époustouflant.
La première de ces personnalités, c’est Henry, un bricoleur, voleur de voiture repenti malgré lui (on va dire torturé par l’Etat d’une manière bien particulière que je ne vous dévoilerais pas), qui s’est réfugié dans un usine au milieu d’un désert désolé. Pour passer le temps et soigner ses fréquentes pertes de mémoire, il bricole à longueur de temps de machines auxquelles il donne des noms terrifiants: la sorcière, le juge…
Son existence jusqu’alors tranquille va basculer lorsqu’un de ses contacts va lui larguer le corps inanimé du mystérieux Comte Zéro. Celui-ci est raccordé à une étrange machine…
Le second personnage à être introduit est Kumiko, une jeune femme japonaise, fille d’un chef Yakuza, qui, pour la protéger des représailles éventuelles de ses rivaux, l’envoie à Londres sous la protection d’un de ses obligés. Elle y fera la connaissance de la mystérieuse Sally Shears, garde du corps impitoyable aux doigts dissimulant des rasoirs et aux yeux miroirs (Toute ressemblance avec Molly dans Neuromancien serait purement fortuite, vous vous en doutez ^_^ ).
Le dernier personnage à être présenté, c’est Mona, une prostituée totalement paumée, droguée qui cherche à s’en sortir au côté d’un petit copain incapable de faire autre chose que de se fourrer dans des plans foireux. Sa ressemblance troublante avec une star de SimStim, Angela Mitchell, la projettera en plein milieu d’une lutte occulte dont elle ne soupçonnait pas l’existence.
Confus, n’est ce pas?
C’est sans doute le seul reproche que l’on pourrait faire à Gibson. Mais c’est aussi la force de son récit que de mener trois histoires de front et d’amener peu à peu ces destins apparemment parallèles à se croiser pour se mêler en une fin qui laisse le lecteur pantelant mais heureux.
Si vous avez lu les deux précédents opus, la lecture n’en sera que plus fluide et surtout, vous aurez plaisir à retrouver des personnages croisés précédemment. Un véritable délice de voir comment ils ont évolué au fil du temps puisque Mona Lisa s’éclate se déroule quinze ans après Neuromancien et huit ans après Comte Zéro.
L’écriture de Gibson conserve son aspect sensuel avec des descriptions très détaillées permettant une immersion totale au cœur de son univers à travers les sens de chacun de ses protagonistes. J’ajouterais que cette osmose avec les personnages est d’autant plus aisé dans ce dernier volume, la relation plus sensible.
L’auteur construit également des personnages toujours aussi puissants avec cette sensation diffuse mais tenace que les hommes sont toujours aussi faibles et faillibles face à des femmes toujours plus volontaires et désireuses de s’en sortir là où les figures habituellement viriles des hommes s’effondrent devant un monde où la technologie aliène progressivement les êtres humains.
Molly, Kumiko, Angela et même Mona se battent tout au long du récit pour vivre et survivre là où le Comte Zéro a choisi de fuir la réalité dans le cyberespace, là où un Henry, sous couvert de son trauma, se réfugie dans un hangar pour construire des monstres mécaniques. A nouveau, le mâle de base paraît bien faible et les personnages féminins font preuve d’une détermination évidente sans se soucier un seul instant de ce que peuvent penser ces mâles affaiblis.
De fait, j’en viens définitivement à me poser des questions sur les orientations idéologiques de Gibson: était-ce voulu de sa part de faire un tel empowerment féminin ou bien est-ce un accident de création?
En tout cas, le résultat est on ne peut plus réaliste avec des personnages entiers aussi bien dans leurs forces que leurs faiblesses, en cohérence totale avec cet univers dystopique de la conurb.
Ajoutons également que des questions n’ont cessé de m’assaillir durant la lecture, interrogations amenées avec talent par Gibson sur notre rapport à l’univers virtuel, à ces machines auxquelles nous abandonnons volontiers notre libre arbitre et à la peur potentielle de voir se développer des Intelligences Artificielles capables de se substituer complètement à la capacité de décision de l’être humain. Des questions toujours d’actualité et remises dans le contexte des années 80, remarquablement visionnaires sur ce que nous vivons actuellement dans les rapports que nous entretenons avec le web 2.0 toujours plus interactif, immersif et invasif.
Si je n’ai pas manqué de vous recommander les précédents, je ne peux que vous encourager à achever le voyage par ce dernier livre. Aussi l’occasion d’écouter en parallèle Mona Lisa Overdrive, le thème musical issu de la trilogie Matrix, vibrant hommage à l’œuvre de William Gibson…